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21/03/2010

Sermon du Père Dominique le 14 mars 2010

Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il.

                                                                                  

 Mes biens chers frères, je voudrais tout d'abord remercier l'Abbé Michel de m'avoir invité pour vous donner en cette mi Carême un peu de courage dans le combat que vous menez, et vous parler un peu de notre œuvre consacrée à Dieu, à la sanctification des âmes et à l'éducation des enfants qui nous sont confiés.

 

Le récit évangélique de la multiplication des pains, et que vous connaissez très bien, m'offre un excellent parallèle entre ces milliers de gens venus entendre Jésus et les milliers d'enfants que nous avons reçus dans notre institut. La raison commune de cette venue est la grande misère qui frappe l'homme depuis toujours et dans toutes les dimensions de sa personne. Une société parfaitement juste dans laquelle il n'y a aucune misère n'existe pas. Ce rêve a toujours été celui de nos politiciens mais il reste un idéal jamais atteint. La société juste et parfaite n'existe qu'au ciel. Elle n'est pas une réalisation humaine mais un don de Dieu qui descend du ciel comme la Jérusalem céleste toute parée comme une épouse, belle et sans tache. En attendant cet ultime instant qui nous introduira dans l'éternité, nous sommes dans une vallée de larmes il faut bien l'avouer.

 

Cette misère est tout d'abord matérielle : c'est celle de la faim et de la soif, mais aussi des maladies sans nombre qui touchent aussi bien le corps que l'esprit. Il y avait des foules immenses qui suivaient Jésus-Christ pour se laisser soigner par lui, pour recevoir un bout de pain, un morceau de poisson, et retrouver l'espoir d'une vie meilleure. Nous avons reçu des garçons abandonnés, sans éducation, rendus violents par une société sans loi, par des parents divisés, laissés à eux-mêmes et dont personne ne veut plus. Notre maison d'enfants, construit comme un jardin avec ses massifs de fleurs, ses bâtiments, sa ferme, son château fort, et ses terrains de jeu, est bien souvent le dernier espoir des parents, une citadelle de l'espérance où tout redevient possible.

 

Le courant marxiste a souvent critiqué l'Eglise à ce sujet : les œuvres de miséricorde, comme l'aumône, seraient en réalité pour les riches, une manière de se soustraire à l'instauration de la justice et d'avoir leur conscience en paix, maintenant leurs positions et privant les pauvres de leurs droits. Il est en effet plus facile de donner de l'argent, surtout celui qui est superflu, que de renoncer à des privilèges pour instaurer une société plus juste. Mais la miséricorde appartient à l'essence même du christianisme, car Dieu est tout simplement amour. Notre institut ne fait au fond que prolonger ce qu'a fait Jésus. La multiplication des pains, comme œuvre de miséricorde, n'est bien évidemment pas un fait isolé. Jésus n'a pas cessé de s'épancher sur la misère humaine comme les prophètes l'avaient fait avant lui en guérissant les malades, en ressuscitant les morts, en visitant ceux qui sont seuls, en donnant à manger et à boire à ceux qui ont faim et soif. L'Eglise continuera ces œuvres de miséricorde à travers la création de structures caritatives jusqu'à la fondation d'ordres religieux consacrés exclusivement à cela. Le 13ième siècle a vu se multiplier dans toute la chrétienté des œuvres pour le service des lépreux, pour le rachat des captifs, pour l'hospitalisation des pèlerins. Au 17ième siècle, la charité de Monsieur Vincent est restée légendaire. Aumônier des galères royales, il prit un jour la place d'un galérien pour lui rendre la liberté. Il sauvera de la mort des milliers d'enfants abandonnés et nourrit, pendant les famines de la guerre de trente ans, des provinces entières. L'Eglise est dispensatrice des biens divins et le plus grand des biens divins est la miséricorde qui est la perfection de la charité.

 

Face à ce devoir de charité, nous sommes souvent démunis. Jésus demande aux apôtres de nourrir la multitude avec seulement cinq pains d'orge et deux poissons. La pénurie de moyens est un trait caractéristique du peuple de Dieu face à sa mission de salut. En son temps, Josué devait conquérir la terre promise avec pour seules armes des ânes et des bâtons. Et c'est à seulement douze apôtres que Jésus confira le soin de répandre l'Evangile parmi les nations. Cette pauvreté de moyens est aussi la nôtre. Notre communauté ne regroupe qu'une petite dizaine de religieux et si nous étions autrefois subventionnés par l'Etat, nous ne vivons plus aujourd'hui que de la générosité des gens à la façon des ordres mendiants. Or, les besoins sont immenses : outres les charges courantes, nos bâtiments sont vieillissants. Il faut les restaurer, les mettre aux normes et en construire d'autres afin d'améliorer la formation technique que nous dispensons.

 

Mais notre Seigneur est bienveillant. Il veille sur notre œuvre d'enfants et lui donne, en dépit d'une pauvreté de moyens, une fécondité extraordinaire. Les bâtiments se sont levés progressivement pour faire de cette colline donnée par les Houillères Nationale un petit village gaulois où se maintiennent les traditions comme dans votre paroisse. Les enfants sont arrivées par dizaine au point de constituer à la fin des années soixante une troupe de 150 garçons. Tous les juges d'enfants de la région faisaient appel à Riaumont pour les placements des cas difficiles. Le dévouement du Père Revet, notre fondateur, et de ses collaborateurs laïcs ou religieux fut sans mesure, hors de toute comparaison avec les autres institutions similaires, si bien que les autorités de tutelle finirent par décorer le Père Revet de la médaille de la « liberté surveillée ». Aux pires moments de la guerre du Vietnam, Riaumont recueillait en supplément des dizaines d'orphelins du sud-est asiatique : cambodgiens, laotiens ou mhongs.

 

Ce jardin d'enfants n'a poussé que par la foi et la fidélité de son fondateur et de ses successeurs. C'est Dieu qui donne le succès comme on peut le lire au livre de Josué, juste avant la conquête de la terre promise : « Que ce livre de la loi, dit Yahvé, ne se retire pas de ta bouche. Tu le murmureras jour et nuit afin de veiller à agir selon tout ce qui y est écrit. Sois fort et courageux ! Ne tremble pas et ne t'effraie pas, car Yahvé ton Dieu sera partout où tu iras ». Jésus dira la même chose à ses apôtres dans l'allégorie de la vigne qui suit le récit d'aujourd'hui : « Je suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire ». Et dans l'épisode de la multiplication des pains, Jésus commence par répandre sur les cinq pains d'orge et les deux poissons la bénédiction divine. Jamais les pains ne se seraient multipliés si Jésus ne les avait pas bénis. Il n'y a pas de fécondité authentique si nos œuvres ne puisent pas à la racine de toute fécondité qui est Dieu, ce Dieu qui est Vie.

 

A notre époque où la technique prend tant d'importance, où elle tend à envahir tous les compartiments de la vie, nous avons tendance à penser que le salut ne dépend que de l'homme. Nous comptons moins sur la providence divine que sur l'intelligence humaine pour résoudre les difficultés de la vie. Ce regard de l'homme vers l'homme est la conséquence directe d'une redéfinition des fins dernières. Alors qu'au Moyen Age, le souci du ciel et la crainte de l'enfer orientaient les regards vers le ciel, la jouissance de la vie ici bas devient de nos jours la seule fin que l'on reconnaît. La fin étant devenue simplement terrestre, l'homme n'attend plus du ciel son secours mais seulement de la technique capable de répondre à son désir de jouissance.

 

Le secret du bonheur et de la réussite est en réalité bien différent. « Demeurez dans mon amour afin de porter du fruit » est la seule chose que nous devions retenir. Il s'agit pour nous, avant même d'observer les commandements, d'être un avec notre Seigneur, de faire corps avec lui. Et il n'est pas étonnant dès lors que Dieu se donne comme pain de vie. Par l'Eucharistie, que la multiplication des pains annonce, l'homme et Dieu forment un seul corps pour être animés d'une seule âme. Et c'est de cette nouvelle identité que découle aussi l'ordre de notre Seigneur Jésus-Christ : « observez mes commandements ». Les commandements de Dieu ne sont plus comme dans l'Ancien Testament l'exigence d'une loi extérieure à l'homme, l'exigence d'un législateur, mais bien plutôt l'exigence d'une nouvelle nature, d'une nouvelle identité : être chrétien !

 

Le Père Revet savait très bien que l'œuvre de Riaumont dépassait très nettement ses possibilités humaines. Il savait très bien que s'il n'était pas poussé aux épaules par la providence divine, rien ne se ferait. C'est pour cette raison qu'il est « demeuré dans le Seigneur ». C'est pour cette raison qu'il mit au cœur du jardin d'enfants une tente de la rencontre, une chapelle où les âmes pourraient venir se ressourcer, où elles pourraient demeurer avec le Seigneur, loin de tout apostolat, loin du bruis et du vacarme que font nécessairement les enfants. Le clocher de notre chapelle a pris mystérieusement la forme d'une flèche en direction du ciel. Telle est en effet la voie de la réussite, la voie du bonheur.

 

Cette place centrale accordée au culte divin appelle une remarque importante en ces temps où les églises se vident. Il est né assez récemment dans la pensée de certains catholiques, que les œuvres de miséricorde auraient la même valeur que le culte divin. Aider son prochain ou exercer une activité politique au service du bien commun dispenseraient de la messe du dimanche ou des sacrements. Le Christ n'était-il pas d'ailleurs apparu sur la terre comme prophète et non comme grand prêtre ? Il prêchait, il guérissait, mais n'exerçait aucune fonction sacerdotale. Pourtant, dans cette valorisation de la mission au détriment du culte divin apparaît une rupture inacceptable entre les deux commandements : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force ; tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Le second commandement, aimer son prochain, ne peut en aucun cas supplanter le premier, aimer Dieu. L'amour de Dieu, et par conséquent le culte divin, prime sur toute œuvre de miséricorde aussi belle soit-elle. Sans l'amour de Dieu comme principe de tout autre amour, l'amour envers les hommes tombe dans la philanthropie, dans le sentimentalisme. Il devient la proie des émotions et de l'opinion. Il se prive de se souffle humain et universel que seul l'amour de Dieu peut donner. L'œuvre de Riaumont est une œuvre de miséricorde, certes, mais elle est avant tout une œuvre de Dieu, un opus dei, un service quotidien qui se manifeste dans la célébration des messes et des offices divins. Si nous voulons nous aussi donner du pain aux affamés, si nous voulons nous aussi instruire ceux qui sont dans l'ignorance, nous voulons surtout leur donner Jésus, leur donner l'amour des sacrements et de la sainte liturgie, car « l'homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Et c'est pour cette raison aussi que le discours du pain de vie suit immédiatement l'épisode de la multiplication des pains : Jésus ne veut pas se limiter à des œuvres de miséricorde. Il est venu dans le monde pour se donner avec son corps et son sang en qui nous avons la rédemption éternelle. Le cœur de la vie du Christ n'est certainement pas les miracles tous plus éclatants les uns que les autres et qui nous fascinent. Le cœur de la vie de Jésus, et qui doit être également le cœur de votre vie paroissiale, est le sacrifice de la Croix, c'est-à-dire la sainte messe.

 

Planter la croix sur la colline de Riaumont pour obtenir la protection du ciel ne devait pas seulement avoir ses partisans. La magnifique réussite du Père Revet à la fin des années 70 ne laissa pas insensibles les adeptes du libéralisme forcené, les tenants de l'anti-catholicisme viscéral, qui bientôt dénoncèrent « l'embrigadement », voire « l'endoctrinement confessionnel » . Des juges fraîchement nommés et imbus des principes libéraux, tentèrent de revenir sur certains placements d'enfants. Bientôt une ignoble campagne de dénonciations, de calomnies et de mensonges prit naissance dans la presse locale pour s'étendre ensuite à la presse nationale, aux radios et même à la télévision. Un collectif d'enseignants et de magistrats se réunit même en région parisienne pour demander au ministère de la justice de fermer Riaumont. Les enfants confiés par autorité de justice commencèrent à être retirés au mépris des drames que cela causait par la séparation de frères ou le retour dans des foyers disloqués. L'Etat refusa de payer les indemnités de licenciement et les subventions qui avaient été jusque la accordées. Depuis la tourmente, Riaumont vit de la générosité des gens et ce sont désormais les familles qui s'adressent à nous directement pour placer leurs enfants.

 

Le Père Revet n'a jamais voulu plaire aux hommes mais à Dieu. C'est ce qui lui valut d'être au cœur d'un cyclone, mais c'est aussi ce qui lui valut d'être aidé providentiellement par Dieu. Il n'a fait que suivre Jésus qui, après la multiplication des pains et le discours sur l'Eucharistie, fut abandonné par la plupart de ceux qui le suivaient. Jésus n'a jamais voulu plaire aux hommes. Il n'a pas voulu entrer dans les conceptions étroites du messianisme politique comme on le concevait à l'époque. Les foules qui le suivaient voulaient faire de lui un roi politique, mais lui voulait régner d'abord et avant tout sur les cœurs de pierre pour en faire des cœurs de chair. Ce combat pour la vérité au service du salut des âmes mènera Jésus à la Croix et le Père Revet à la mort par épuisement.

 

Tel est au fond l'enseignement de notre récit d'aujourd'hui et la ligne directrice de notre Carême. L'homme ne vit pas seulement de pain et des joies terrestres qui occupent une majeure partie de son temps. Le bonheur humain ne se limite pas à la consommation de loisirs, et la mission de l'Eglise ne se limite pas à des œuvres de miséricorde. Le prêtre n'est pas une assistante sociale mais un dispensateur des biens célestes. Il n'est pas une girouette qui passe son temps hors de l'église et qui est chahutée par les vents du politiquement correct. Il doit être, à l'école du curé d'Ars, un homme de Dieu prisonnier dans son église, à l'abri du vent et dans la paix de Dieu, ouvrant ses portes comme ses bras à ses fidèles, toujours prêt à accueillir ceux qui se repentent, cloué à l'autel du sacrifice comme Jésus était cloué à la croix. Seule l'union au Christ crucifié et souffrant, dans une liturgie belle et authentique, est garante du bonheur et de la fécondité de nos entreprises humaines, même si sur notre chemin, il y a des chutes, des croix, des épreuves et des trahisons : « une fois élevé de terre, j'attirerai tout à moi ». Plantez dans votre vie la croix du Seigneur comme le Christ l'a plantée sur le Golgotha, comme le Père Revet l'a plantée sur la colline de Riaumont. Contre elle, les chacals ne peuvent rien, car Jésus a vaincu le monde. « Laetare », « réjouissez-vous », car votre récompense sera grande dans les cieux !

 

Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.

Amen.

 

 

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