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06/01/2010

Pro Liturgia - article mis en ligne le 4 janvier 2010

AU-DELÀ DE L'AFFAIRE DU CURÉ DE THIBERVILLE

 

L'affaire du Curé de Thiberville, limogé par son Evêque, Mgr Nourrichard, soulève une question délicate: l'Eglise reconnaît-elle un droit à la désobéissance?


Mais qui, dans le cas présent, désobéit? Est-ce Mgr Nourrichard qui en veut à l'un de ses prêtres d'appliquer le Concile et de suivre les orientations données par le Souverain Pontife en matière de liturgie? Est-ce l'Abbé Michel, Curé de Thiberville, qui refuse d'obéir à son évêque lui demandant de quitter sa paroisse? Sont-ce les paroissiens qui font part à leur Evêque - avec les moyens dont ils disposent pour se faire entendre de lui - de leur volonté de garder leur prêtre?
Mgr Nourrichard a parfaitement le droit de déplacer l'un de ses prêtres; encore faudrait-il qu'il puisse justifier les raisons d'un tel déplacement. En l'espèce, il semble que l'Evêque d'Evreux n'ait pas la moindre raison: son acte ressemble donc fort à une petite crise d'autoritarisme typiquement clérical - pour ne pas dire épiscopal - qui a son origine dans une incapacité à reconnaître la crise que traverse l'Eglise dans son diocèse en particulier.
M. l'Abbé Michel a parfaitement le droit de savoir, de la plume de son Evêque, ce qu'on lui reproche (il s'en doute d'ailleurs) et de connaître quel sera son avenir. Car la stratégie épiscopale est bien connue: pour réduire au silence un prêtre qui refuse la désastreuse pastorale actuelle qui se fait dans les diocèses, on le nomme dans une paroisse déjà dévastée par un précédant curé. L'arrivée d'un prêtre "classique" du type Abbé Michel dans une paroisse habituée à avoir des "messes-tagada" ne manquera pas de provoquer des remous dont se servira l'Evêque pour reprocher au prêtre nouvellement nommé de "ne pas s'insérer dans la pastorale de groupe mise en place par les équipes interparoissiales de laïcs en responsabilité" (Chers fidèles, habituez-vous à ce langage, sinon vous ne comprendrez jamais votre évêque).
Les paroissiens ont le droit de faire savoir au pasteur diocésain qu'ils préfèrent avoir un prêtre qui est dans la ligne du Souverain Pontife plutôt qu'une poignée de "mamies" qui seront autorisées à froufrouter autour de l'autel et de l'ambon à chaque messe. L'Evêque d'Evreux a le droit de savoir que les fidèles ne sont pas disposés à demeurer catholiques pratiquants à n'importe quel prix.


Pour susciter la réflexion, voici trois points de vue sur la question de l'obéissance/désobéissance.
Le premier est d'un fidèle laïc: "Il est bien certain que rien ne changera tant que les prêtres désavoués ne se manifesteront pas davantage pour refuser fermement certaines orientations pastorales qui n'ont aucune raison d'être et qui, parfois même, n'ont aucune légitimité. Il ne s'agit pas de "ruer dans les brancards" de façon ouverte et maladroite, mais de faire savoir à qui de droit que certaines directives prises au niveau d'un diocèse ne sauraient être acceptées et mises en oeuvre. N'est-il pas temps de sortir d'un état de docilité servile? Dans la situation que nous connaissons actuellement, le principe du "nulla Ecclesia sine episcopo" ne tient plus en France (à quelques exceptions près), dans la mesure où ce principe procède d'un anti-discernement ou d'un choix de ne surtout pas faire de vagues.
Le "nulla sine episcopo" n'a de sens et ne tient que lorsqu'il s'accorde sans le moindre doute avec le "ubi Petrus, ibi Ecclesia, ibi Christus". Dans tous les autres cas, il y a risque de tomber dans la schizophrénie, c'est-à-dire dans un trouble grave divisant la personnalité: le prêtre, écartelé entre son désir de suivre les enseignements du Saint-Père et son souci de garder de bonnes relations avec sa hiérarchie diocésaine, s'épuisera à vouloir gérer d'indéfendables compromis pastoraux et liturgiques à l'aide desquels il espérera plaire à tout le monde, depuis la chaisière de la paroisse jusqu'à l'évêque diocésain. Les interminables transactions auront vite raison de la santé physique, psychique et spirituelle du prêtre."


Le deuxième point de vue est celui du P. Louis Bouyer, le théologien bien connu (+2004): "L'obéissance dans l'Eglise est certainement fondamentale, mais cette obéissance doit être éclairée: c'est une obéissance filiale, une obéissance de la foi. L'obéissance [des fidèles] aux évêques, au Pape, au concile ne doit pas être passive mais véritablement illuminée par la foi, et le premier devoir de toute la hiérarchie est de la leur communiquer et de l'entretenir. Lorsqu'il y a des défaillances individuelles ou même collectives de la part de ceux qui dans l'Eglise sont responsables avant tout de la foi, ce n'est pas du tout une infidélité de la part des fidèles mais au contraire une marque de fidélité de critiquer et de ne pas accepter ce qu'enseigne tel prêtre ou même tel évêque ou un groupe d'évêques, lorsqu'il est clair que cela est en contradiction avec ce que le Pape, les conciles, et toute la tradition des évêques jusqu'à nous ont enseigné. L'obéissance des fidèles doit donc toujours être une obéissance éclairée et une obéissance (...) qui s'adresse, à travers les hommes, au Christ seul. Et lorsque des hommes qui représentent le Christ se mettent visiblement en conflit avec Lui, avec toute la tradition de l'Eglise et avec ceux qui en sont les représentants les plus assurés aujourd'hui même, il n'y a pas à hésiter à leur résister, à leur résister respectueusement d'abord, et s'ils ne comprennent pas ou n'acceptent pas ces critiques, à leur résister fermement et en face."


Le troisième et dernier point de vue est celui d'un Evêque, Mgr Giovanni d'Ercole. Sa réponse à la question posée ici est claire: "Il faut regarder l'Eglise avec deux yeux. Un oeil sur le Pape, l'autre sur l'évêque et le curé. Si l'évêque et le curé disent la même chose que le Pape, c'est l'unité. Or le manque d'unité fait un très grand mal à l'Eglise. Si l'évêque ne dit pas la même chose que le Pape, cela me donne un strabisme; alors je regarde le Pape."


A Thiberville, les fidèles sont majoritairement certains que l'Abbé Michel et le Pape disent la même chose. Mais pour ce qui est du Pape et de Mgr Nourrichard...

La Croix.com - article du 5 janvier 2010

05/01/2010 17:23

L’évêque d’Évreux en conflit ouvert avec le curé d’une paroisse



Dimanche 3 janvier, Mgr Christian Nourrichard, évêque d’Évreux, n’a pu célébrer la messe dans la commune de Thiberville, où il était venu installer un nouveau prêtre, pour remplacer le P. Francis Michel. Il s’est heurté à l’opposition violente des fidèles, qui l’ont hué et pris à partie. Puis, menés par le prêtre récalcitrant, ils sont sortis pour se rendre dans une autre église dont ils ont refoulé l’évêque. Le curé a obtenu le soutien d’un comité, et notamment du maire de Thiberville





Reportage de France 3 Normandie à Thiberville, diffusé le 3 janvier, lors de l'installation du nouveau curé par l'évêque d'Évreux.

Pourquoi un tel conflit ?

Le conflit a atteint de telles proportions, car il a pris une tournure idéologique. Au départ, il s’agit d’une réforme des paroisses, qui concerne tout le diocèse : la paroisse de Thiberville (5 000 habitants) devait être rattachée à un ensemble paroissial plus vaste. Aujourd’hui, devant le manque de prêtres et la diminution des habitants en zone rurale, il n’est plus concevable, explique Mgr Nourrichard, « d’avoir un prêtre pour 5 000 habitants ». Le P. Michel, dans cette paroisse depuis 23 ans, refuse depuis deux ans toute nouvelle affectation, alors qu’il s’y était pourtant engagé par écrit.

Mais sur ce cas classique d’un village qui perd « son » curé, s’est greffé un conflit idéologique. En effet, le P. Francis Michel, soutenu par des fidèles traditionalistes, célèbre, depuis déjà longtemps, en latin, et tourné vers l’autel (mais non en rite tridentin). Selon lui, l’évêque a voulu le punir, et avec son éviction, refuse d’appliquer le Motu proprio de Benoît XVI, qui autorise les célébrations dans la forme extraordinaire du rite (ou tridentine).

Le prêtre est devenu un symbole pour une certaine frange de l’Église : voilà des semaines que les sites et journaux tradionalistes appelaient leurs lecteurs à être présents dimanche à Thiberville. « Je suis tombé dans une embuscade », explique l’évêque, qui rappelle qu’il applique déjà le Motu proprio, avec une célébration le dimanche, à Évreux même, selon le missel de saint Pie V. « Ce diocèse est compliqué », explique-t-il encore, faisant allusion au passé tourmenté de l’ancien épiscopat de Mgr Gaillot : « j’essaie de faire la communion entre les excès de part et d’autre ».

Quel est le devoir du prêtre ?

Le prêtre est lié, par son ordination, à un devoir d’obéissance à l’évêque. Du fait de son incardination dans un diocèse, il doit en effet remplir les charges que lui confie l’ordinaire du lieu, c’est-à-dire l’évêque. En cas de désobéissance, celui-ci est donc en droit de révoquer le prêtre, ce que Mgr Nourrichard a fait lundi 4 janvier avec le P. Michel : de ce fait, il n’est plus curé et ne peut plus célébrer mariages et baptêmes, sinon ils seraient considérés comme illicites.

L’étape suivante serait infiniment plus grave : l’évêque pourrait demander à Rome la suspense du prêtre, sanction pénale, cette fois. Mais le prêtre peut lui aussi faire appel à Rome, ce que le P. Michel s’apprête à effectuer. Certains prêtres, proches des milieux tradionalistes, invoquent ainsi de plus en plus, une légitimité romaine supérieure à celle de leurs évêques. Oubliant que les évêques ont été nommés par le pape.
Isabelle de GAULMYN

La Vie - article du 5 janvier 2010 (web)

 

05.01.10 - WEB

Jacquerie catholique à Thiberville

de notre envoyé spécial à Thiberville, Jean Mercier

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Thiberville est un joli village de la campagne normande dont les maisons à colombages composent un décor de carte postale. Son nom est pourtant désormais synonyme de guerre sans merci entre d'un côté, le curé jusqu'ici en poste, le père Francis Michel, 60 ans, soutenu par ses ouailles, et de l'autre, les autorités du diocèse d'Evreux.

 

En cause, la révocation, décidée par Mgr Christian Nourrichard, de celui qui présidait aux destinées de la paroisse depuis 23 ans. Elle est l'aboutissement d'un conflit qui dure depuis trois ans entre le diocèse et le prêtre. Annoncée le 29 décembre, la révocation a suscité une mobilisation exceptionnelle lors de la messe de 10h du dimanche de l'Epiphanie, pour laquelle l'évêque avait annoncé sa venue dans le but de rendre compte de sa décision.

L'église a été le théâtre d'un violent affrontement mené par les paroissiens, entassés à plus de 400 dans l'église paroissiale, et apparemment rejoints par des éléments extérieurs bien décidés à en découdre. Remontés à bloc, ils ont accueilli Mgr Nourrichard, et ses collaborateurs (son chancelier, le Père Jean-Pierre Decraene et le curé de la paroisse Notre Dame de la Charentonne, Jean Vivien), par des huées et des insultes.

"Menteur !", "Sépulcre blanchi". Dans la foule, des hurlements - minoritaires mais très agressifs - se mêlaient aux éclats de voix d'autres paroissiens tentant de ramener le calme, mais totalement débordés par une bronca inextinguible... Venu célébrer l'eucharistie, Mgr Nourrichard n'a guère pu prononcer plus que quelques phrases en raison de l'atmosphère d'émeute et des cris ponctuant ses informations, à savoir la révocation du curé, et le rattachement de Thiberville à la communauté paroissiale de Notre Dame de la Charentonne. Un des laïcs a pris le micro pour dénoncer "le véritable argument" derrière la décision de l'évêque : "Le père Michel est de sensibilité traditionnelle", ajoutant que celui-ci était victime de "la haine dans le diocèse".

Le curé destitué a pris alors la parole pour protester et appuyer les mots de son paroissien : "Je ne suis plus votre curé d'un point de vue canonique, mais on ne peut pas m'empêcher dans mon coeur et mon âme d'être votre pasteur".

La situation dégénérant, Mgr Nourrichard invite ceux qui le veulent à partir.  L'église se vide dans la plus grande confusion. Certaines personnes se déplacent pour agresser verbalement l'évêque. Une dame s'interpose : "Laissez l'évêque tranquille, il est le délégué du pape !". Finalement, la communion est donnée à une vingtaine de personnes restées dans l'église, visiblement très affectées. Une demie heure plus tard, dans le village voisin de Bournainville, l'évêque et ses collaborateurs se présenteront pour dire la messe, mais ne pourront pénétrer dans une église bondée par les fidèles de l'abbé Michel.

L'insurrection est le produit d'une longue crise qui n'a pu trouver de solution négociée en dépit des efforts du diocèse. Peu après son installation au diocèse d'Evreux, en 2006, Mgr Nourrichard s'attelle à la normalisation de la situation thibervillaise, dont le curé, le Père Francis Michel, refuse de se plier aux nouvelles règles de la réorganisation des paroisses décidées en l'an 2000. Celles-ci prévoient qu'un curé est nommé en règle générale pour une période limitée (9 ans au maximum), qu'un clocher ne peut prétendre à disposer d'un prêtre en propre, comme c'était la coutume autrefois. Des règles que l'on retrouve dans la plupart des diocèses français, où, face à la raréfaction des forces sacerdotales, les vieilles paroisses se voient refondues et redécoupées au profit de nouvelles paroisses d'ampleur très large, où la mutualisation des forces et le travail en équipe sont les maîtres mots aussi bien pour les prêtres que les laïcs.

Dans cet esprit, le diocèse a mis en place, pour les paroissiens, d'une part, un rattachement au secteur paroissial le plus proche, intitulé Notre Dame de la Charentonne (dont l'épicentre est la ville de Bernay). Pour l'abbé Michel, d'autre part, l'actuelle révocation est le produit d'une longue négociation qui a abouti à l'échec. L'idée de départ était de permettre à l'abbé Michel de continuer son ministère dans une autre paroisse, tout en le remplaçant à Thiberville.

En effet, l'abbé Francis Michel devait bouger dans la mesure où il est depuis trop longtemps (23 ans) curé du lieu. "Après un refus de nomination, et en dépit d'un engagement ultérieur de sa part d'accepter une nouvelle nomination, il a dit finalement oui pour un nouveau poste, pour ensuite se rétracter", explique le Père Jean Vivien, qui est désormais son remplaçant.

En clair, l'abbé Michel, que certains observateurs décrivent comme un leader d'une forte envergure spirituelle, mais volontiers manipulateur et influençable, aurait "baladé" les autorités diocésaines. Le prêtre aurait refusé toutes les propositions du diocèse qu'il juge selon lui totalement irrecevables. A bout d'argument, l'évêque a donc décidé de prendre une décision ferme et de révoquer le prêtre.

Sur le fond, le diocèse reproche à l'abbé Michel et ses fidèles de fonctionner en autarcie et dans le refus de la synergie diocésaine, et de se complaire dans  les revendications de ses paroissiens, qui veulent bénéficier d'un traitement à part au sein du diocèse en gardant "leur" curé.

L'autre enjeu signalé lors de la messe du 3 janvier pourrait être proprement idéologique, même si Mgr Nourrichard, face aux paroissiens, a dûment expliqué que ce facteur était étranger à sa décision. Portant la soutane, le curé de Thiberville œuvre à un catholicisme traditionnel axé sur la piété fervente et la religion populaire. Son modèle est le curé d'Ars "lequel est resté dans sa paroisse pendant 40 ans" rappelle-t-il à l'envi pour répondre à ceux qui l'accusent d'être là depuis trop longtemps.

En parallèle à la liturgie issue du Concile, celle dite de Paul VI, il célèbre tous les dimanches soirs selon la forme extraordinaire du rite romain, à savoir le missel de Jean XXIII. L'abbé Francis Michel incarne ce que les spécialistes en liturgie appellent "la Réforme de la Réforme", selon la formule lancée par le cardinal Ratzinger, et qui décrit la messe idéale du pape : à savoir le rite de Paul VI mais réinterprété dans un sens traditionnel voire tridentin, sinon dans la lettre, mais au moins dans l'esprit.

A cette fin, le Père Michel célèbre en français la forme ordinaire du rite romain issue du Concile Vatican II, mais tourné vers l'Orient. Les hymnes incontournables (Gloria, Sanctus, Credo) sont chantés en latin. S'il donne volontiers la communion à genoux, cela ne l'empêche pas d'accepter de donner aussi le corps du Christ à ceux qui ne souhaitent pas s'agenouiller, et d'accueillir des filles dans le choeur de l'Eglise.

En ce sens, l'abbé ne peut être qualifié de traditionaliste. Il répond à des besoins rituels traditionnels. Son église, couverte de bannières et de statues, ressemble à un sanctuaire de pélerinage du XIXe siècle, à la grande satisfaction d'une population locale attachée aux marques d'un catholicisme à l'ancienne. Chaque dimanche, ses messes attirent les foules, souvent venues de loin. Et pour le plus grand bonheur des commerçants de ce village qui serait, en l'absence de cette affluence sacrée, très certainement déserté les dimanches et jours de fête.

Néanmoins, et c'est aussi un élément qui a pu peser dans la décision de l'évêque, l'abbé Michel ne fait pas mystère de sa sympathie pour la cause royaliste, et célèbre régulièrement la messe en mémoire de la mort de Louis XVI.

Pragmatique face aux besoins spirituels des gens, doué d'un sens pastoral, bon prédicateur, l'abbé Francis Michel fait quasiment l'unanimité chez ses ouailles, quelque soit leur origine sociale, leur âge, leur niveau d'engagement dans la paroisse, ou leur ancienneté. Ses détracteurs sont minoritaires, même si l'on signale des conflits graves entre d'anciens amis proches qui se sont retournés contre lui. Ses fans, ultra-majoritaires, sont sans états d'âme.

"Les tradis comme les classiques, les riches comme les pauvres, il ne fait pas de différence", explique cette femme très simple, qui revendique d'avoir été guérie de sa maladie par l'abbé Michel. "Nous sommes arrivés sur la région avec mon mari il y a quatre ans. Il nous a organisé une magnifique messe pour nos 40 ans de mariage, tout à fait personnalisée et adaptée à nos besoins", explique cette femme d'une soixantaine d'années.

"Il a changé ma vie !" témoigne cette agricultrice. Piercing dans l'oreille, cette jeune fille explique que le père Michel est irremplaçable : "Il a baptisé toute ma famille. Il est extraordinaire". La même louange est unanime, notamment chez les 18-25 ans, nombreux lors de l'insurrection du 3 janvier. "Il fait partie de notre vie", explique Danielle. Les édiles de Thiberville sont aussi à 100% derrière le curé. "S'il n'y a plus d'abbé, ce sera la fin de la commune !"  assure Mr Amour, le premier adjoint . Lors de la messe du 3 décembre, 12 des 13 maires du secteur dont l'abbé Michel a la charge pastorale étaient venus soutenir leur curé.

Et l'avenir ? Le diocèse d'Evreux semble engagé dans un conflit qui sera dur et probablement long. D'un point de vue canonique, l'évêque d'Evreux est dans son droit, et l'abbé Michel est dans son tort puisqu'il a promis obéissance à l'évêque d'Evreux et à ses successeurs le jour de son ordination. Sa solidarité avec les opposants lors de la messe de l'Epiphanie laisse peu d'illusion sur sa volonté de dialoguer avec l'évêque ou ses représentants. Mais d'un point de vue tactique, la position du prêtre rebelle et de ses ouailles reste forte, pour trois raisons.

Primo, l'élément psycho-affectif. L'abbé Michel a les locaux avec lui, de façon écrasante, et le soutien que ceux-ci lui manifeste est sincère et viscéral. D'autres facteurs entrent en jeu. Par exemple, la révocation du curé est perçue comme un oukase venu du centre du département, et choque des populations rurales déjà malmenées par les évolutions de la modernité qui pénalisent le milieu rural.

La décision de Mgr Nourrichard n'apparaît pas seulement incompréhensible (on ne change pas une équipe qui gagne), mais aussi comme une humiliation collective dans la mesure où le prêtre se retrouve désormais sans ministère. Il apparaît comme jeté au rebut. Une situation que les catholiques thibervillais interprètent comme une punition d'autant plus injuste que la paroisse est très vivante, à la différence du pôle ecclésial où le diocèse les rattache désormais, dont le denier du culte a chuté de 45% entre 2007 et 2008, soit la plus forte baisse de tous les secteurs du diocèse.

Leur nouveau curé, Jean Vivien, se situe aux antipodes de la sensibilité traditionnelle de l'abbé Michel, ce qui aggrave le ressentiment, même si le diocèse a pris soin de maintenir la messe traditionnelle le dimanche, qui sera dite par un autre prêtre du diocèse. « Le Père Vivien n'est pas l'homme de la situation, face à des gens aussi blessés et attachés à la sensibilité traditionnelle », confie ainsi un observateur.

Secundo, le facteur statégique. L'abbé Michel est fort du soutien de plusieurs maires du canton, dont celui de M. Guy Paris, maire de Thiberville, qui souhaite continuer à mettre le presbytère à la disposition du prêtre révoqué. Ce qui signifierait que celui-ci pourrait continuer à résider sur place et à exercer sa vie sacerdotale, comme il l'a déjà annoncé. Dans cette configuration, le ministère du nouveau curé, le Père Vivien, déjà considéré comme un "ennemi" pour son peu de goût pour l'option traditionnelle, semble compromis.

Il n'est pas à exclure que s'installe donc une double vie liturgique et sacramentelle, l'une officielle et l'autre officieuse. Par ailleurs, le nerf de la guerre - l'argent - ne risque pas de manquer au prêtre, les fidèles pouvant décider de reporter leurs dons sur la personne de l'abbé Michel et de cesser de verser le denier du culte.

Tertio, la dimension idéologique. Pragmatique, le Père Francis Michel appliquait jusqu'à aujourd'hui de façon habile la coexistence des deux formes du rite sous son clocher, incarnant l'esprit voulu par Benoît XVI dans son Motu Proprio Summorum Pontificum de 2007, à savoir une mutuelle fécondation des deux formes de la messe. Même si le diocèse ne souhaite pas déplacer le débat sur le terrain idéologique, ses opposants ne se priveront pas de faire valoir cette dimension auprès des instances romaines. Ils ont déjà engagé une action auprès de la Commission Ecclesia Dei, au Vatican.

La révocation de l'abbé Michel pourrait apparaître ainsi comme un refus diocésain de soutenir la synthèse de type "Réforme de la réforme" qu'avait mise en œuvre l'abbé Michel et qui est l'un des axes du pontificat.

Face à la désobéissance du Père Michel, le diocèse a certes pour lui le droit canonique et le soutien d'une majorité des fidèles de l'Eure, mais il est encore difficile de dire s'il sortira vainqueur de ce bras de fer thibervillais.

Paris-Normandie - Une et article du 5 janvier 2010

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Le Pays d'Auge - article du 5 janvier 2010

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