16/01/2010
Figaro Magazine - 16 janvier 2010
Vent de révolte en Normandie. Tout un canton, maires en tête, se mobilise pour l'abbé Francis Michel, un curé « à l'ancienne », révoqué par l'évêque d'Evreux. La paroisse attend l'arbitrage du Vatican...
Dimanche dernier, comme tous les dimanches, la messe de 10 heures s'achève dans l'église de Thiberville (Eure). Les fi dèles sont si nombreux qu'il faut jouer des coudes et des fessiers pour rester assis sur son banc. Trois cent cinquante paires d'yeux se tournent soudain vers le célébrant qui s'avance vers l'ambon. «Vous me regardez et vous vous dites : "Il va dire quelque chose." Eh bien, non ! Rien ! Et les questions que vous pouvez vous poser eh bien, vous les poserez à ces messieurs qui sauront vous dire qui ils sont, d'où ils sont et ce qu'ils font et quand est-ce que vous vous verrez ! Moi, je ne dis rien. La seule chose que je vous demande, c'est de ne pas faire des têtes à coincer des roues de corbillard, heureux d'être chrétiens, unis - on vient de communier -, et, bien sûr, respectueux envers les personnes.» Au premier rang, dans un rôle inédit de Peppone venu soutenir son Don Camillo local, Guy Paris, le maire divers droite de cette commune normande, et les conseillers du canton ne peuvent réprimer un sourire. L'assemblée glousse gentiment. Les « événements », comme on dit pudiquement à Thiberville et dans les bourgs voisins, n'auront pas eu raison de l'humour et de la bonhomie de l'abbé Francis Michel.
Pas de show. Pas de prêche assassin à l'encontre de Mgr Christian Nourrichard, l'évêque d'Evreux, qui l'a pourtant révoqué, en réponse à ses refus successifs de changer de paroisse. Juste une messe. Une messe d'une grande ferveur. «Je ne souhaite aujourd'hui que la paix, la conciliation et la solution. Encore que j'ignore ce qu'il peut advenir. Je ne suis qu'un simple curé de campagne et n'y entends rien en droit canon», glissera le prêtre, un peu las de cette agitation cathodique, avant de s'engouffrer dans une voiture et de filer célébrer une autre messe dans un village voisin.
Une semaine plus tôt, l'ambiance était tout autre. L'évêque, venu installer le nouveau curé, le père Vivien, et expliquer la réorganisation de son diocèse, officiellement pour faire face à la pénurie de prêtres, a été hué et chahuté par des paroissiens déboussolés qui se massaient jusque dans la chaire. Resté seul dans l'église de Thiberville, bientôt vidée de ses fidèles, entouré de son conseil presby téral, il a finalement renoncé à officier.
La colère bruyante et tapageuse des 4 500 fidèles a laissé place à la consternation, devant caméras et micros qui se tendent à la sortie de l'église. «L'abbé Michel n'est plus notre curé. Il n'en reste pas moins notre pasteur», explique cette agricultrice. Un retraité, la casquette vissée sur le front, se souvient : «Il y a vingt-trois ans, lorsque l'abbé est arrivé, c'était la panade. Quel gâchis !»
Nommé par Mgr Gaillot dans ce groupement de paroisses aux marches du Calvados, le père Michel, alors jeune vicaire de la cathédrale d'Evreux, découvre des églises sinistrées qui menacent ruine. Il ne compte pas plus de 20 paroissiens le dimanche. L'hiver, faute de chauffage, il doit célébrer la messe dans la sacristie. Son «zèle» et «sa foi à déplacer les montagnes» parviennent à convaincre les municipalités de rouvrir et de restaurer leurs églises, au prix de lourds investissements pour de toutes petites communes, contre l'assurance qu'une messe au moins y serait célébrée chaque quinzaine dans l'un des 13 clochers du groupement interparoissial de Thiberville. Vingt ans plus tard, pas un maire ne regrette ce choix. Les églises sont combles. Les villages en profitent largement, qui vivent désormais au rythme des paroisses. Ce qui explique notamment que les élus locaux mènent la fronde. En première ligne. Maire pétitionnaire, Guy Paris est parvenu à rassembler 4 000 signatures pour le maintien du père Michel.
Aujourd'hui, comme nous l'affirme Christian Wagner, un laïc, la paroisse de Thiberville est la plus dynamique du diocèse d'Evreux : 120 enfants sont catéchisés ; l'an passé, elle a eu 30 premières communions, 30 professions de foi, et près du quart des confirmations du diocèse (40 sur 170). «Pas mal, non, pour une simple communauté paroissiale paysanne ?» «Ne juge-t-on pas un arbre à ses fruits ?», s'étonne à son tour Jérôme Richard, un jeune père de famille.
Pour beaucoup de paroissiens la réorganisation du diocèse n'est qu'un prétexte. En cause, selon eux, «le côté traditionnel » de ce curé de campagne qui porte la soutane, encourage la piété populaire, ressuscite un tiers- ordre de laïcs typiquement normand, les charitons, pour accompagner notamment les familles dans leurs deuils, et qui, exemple pourtant remarquable de ce que le pape Benoît XVI a appelé de ses vœux en instituant le Motu Proprio, célèbre la messe selon le rite « ordinaire » et « extraordinaire », en latin, tourné vers l'Orient. Un biritualisme qui s'opère dans un esprit parfaitement apaisé, mais qui ne plaît guère à l'évêché où plane encore l'ombre du très progressiste Mgr Gaillot.
Alerté, le Vatican suit de près l'évolution du dossier
Devant le refus de l'abbé Michel d'accepter les mutations qui lui étaient proposées depuis deux ans (comme vicaire à Louviers, notamment, à l'autre bout du diocèse) et faute de pouvoir accepter ses contre-propositions, Mgr Nourrichard a décidé de révoquer son prêtre réfractaire. Mais le Vatican aura son mot à dire. Si la Congrégation pour le clergé n'est pas encore officiellement saisie de ce dossier, il n'en demeure pas moins que les canonistes (les juristes spécialistes du droit canon) suivent de près les événements. Pour l'un des prélats que nous avons pu interroger, «la décision de l'évêque d'Evreux est symptomatique d'une certaine idéologie du changement, propre à l'Eglise de France, mais contraire aux résolutions du concile Vatican II». Et d'ajouter qu'«un curé n'est pas un fonctionnaire comme les autres que l'on peut trimbaler de lieu en lieu. C'est d'abord un père et un pasteur qui a charge d'âmes, ce qui suppose une certaine stabilité.»
Un autre canoniste remarque à son tour que si l'évêque d'Evreux est dans son plein droit de révoquer un curé, il ne peut en revanche nommer un successeur si un recours est engagé. Or l'abbé Michel, d'après nos informations, a déposé un recours en illicéité. Mgr Nourrichard est-il allé trop vite en besogne en nommant un nouveau curé et non un simple adminis trateur ? Reste que c'est désormais à lui de répondre à ce recours, dans un délai d'un mois, avant de voir les tribunaux de Rome officiellement saisis de cette affaire. Les Thibervillais espèrent. Pour l'heure, depuis le fameux dimanche, ils n'ont toujours pas revu leur « nouveau curé ».
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